Comme lors des autres départs, notre ordre de mission tardait. La rentrée scolaire avait déjà eu lieu en France et j'étais en disponibilité, c'est-à-dire sans traitement. Nous partîmes donc juste pour la rentrée de l'Ecole Française, vers le 20 septembre. Nous devions loger à l'hôtel en attendant de trouver un toit.
Le voyage par avion ne durait pas longtemps. Cinq ou six heures me semble-t-il, c'était court!
Le passage en douane et aux différents postes de police se révéla beaucoup plus long. Une file importante patientait devant une cabine où s'effectuait une première fouille des bagages à main. Ensuite avait lieu le contrôle d'identité et enfin, nous accédions au tapis roulant pour récupérer les bagages. Nous nous dirigions ensuite vers la sortie et les bagages étaient ouverts, fouillés, examinés dans les moindres détails. Tout cela nous sembla interminable, très désagréable et même angoissant .
Notre employeur était venu nous accueillir et nous emmena en voiture jusqu'à l'Hôtel Indépendance. Nous traversâmes un quartier populaire et commerçant, construit de petites maisons en potopote aux toits de tôle. Je ne retrouvais pas du tout l'ambiance ni de Fort-Lamy ni de Mayotte. C'était encore autre chose, une impression de grouillement, des vélos un peu partout, des mobylettes, des taxis klaxonnant, une circulation désordonnée et des piétons au milieu de tout cela. Puis nous suivîmes l'Avenue de l'Indépendance et arrivâmes à l'hôtel.
Nous devions rester longtemps dans cet hôtel. Nous acceptâmes le premier logement à peu près correct qui nous fut proposé. Comme d'habitude, c'était très sommaire, à la limite de l'acceptable, dans un quartier périphérique cependant sympathique, Zogona. Nous étions là provisoirement. Un seul climatiseur fonctionnait, nous dormions tous dans la même chambre, ayant installé des matelas par terre pour gagner de la place. Le soir commençait par une chasse aux cafards. Une fois la chambre bien examinée, nous pouvions songer à dormir.
Tout notre matériel restait dans les cantines métalliques, les armoires et buffets étant tellement imprégnés de l'odeur des cafards qu'il était impensable d'y ranger quoi que ce soit! Dès la nuit tombée, vers cinq ou six heures, ces horribles bestioles, brun rougeâtre, aux antennes immenses, volant et atterrissant parfois sur nous, commençaient à sortir.
Nous engageâmes du personnel, un cuisinier homme de ménage et un gardien de nuit qui, le soir, s'installait sur une chaise à la forme spéciale, derrière le portail, et surveillait les va-et-vient, armé d'un "casse-tête" et d'une lance.
C'est dans ces conditions difficiles que débuta notre séjour. C'est aussi à cette époque qu'éclata une guerre avec le Mali. Nous ne pouvions sortir librement, des soldats passaient vérifier si le couvre-feu était respecté le soir et nous ne pouvions même pas rester sur notre terrasse. Nous devions faire l'obscurité, aucune lumière ne devait filtrer de la maison. Aller en ville faire les courses était aussi très compliqué. Mon mari y allait seul, ne voulant nous exposer aux désagréments des fouilles par des hommes armés. La guerre dura environ une semaine, les hostilités ayant cessé faute de matériel.
Après cette semaine bizarre, l'école reprit. Nous partions en covoiturage avec nos voisins, les enfants se rendant soit à l'école primaire où j'enseignais , soit au collège où enseignait mon mari. C'est grâce à ces voisins que nous nous habituâmes peu à peu à cette drôle de vie. La vie hors de France est très différente, c'est à l'étranger que l'on prend conscience de notre culture très enracinée, et vivre dans un pays qui se construit nous apprend beaucoup sur tout ce que nous avons acquis depuis très longtemps, qui nous semble faire partie de nous-même, qui est loin d'être l'universalité pourtant. Ainsi, nous prîmes l'habitude des contrôles de la police, de la douane, des CDR (comité de défense de la Révolution) ou de l'armée. Nous présentions nos papiers, et nous pouvions repartir. Mais c'était à chaque fois quelque chose de très désagréable, cette suspicion, cette impression de ne pas connaître la Loi, de prouver son identité, d'être "scanné" par un regard inquisiteur. Nous ne comprenions pas toujours.
Aux vacances de Pâques, nous entreprîmes un voyage au Togo, une expédition, en 2CV (la "baby", comme l'appellent les Burkinabés), avec de multiples contrôles où nous devions déballer nos bagages, sortir de la voiture... c'était très compliqué et nous passions beaucoup de temps dans les traversées de villages. Il faisait aussi très chaud. En brousse, nous rencontrions beaucoup de gens, à pieds, en taxi quelquefois, ou en vélos...avec d'énormes chargements sur la tête, le porte-bagages, le guidon...Nous étions stupéfaits de découvrir tout ce qui peut se porter de cette façon. Parfois, nous arrêtions pour une pause rapide, nous pensant seuls un instant, mais aussitôt quelqu'un surgissait de nulle part et nous accostait, nous n'étions jamais seuls. Pourtant, nous étions loin des villes, en pleine brousse, mais la campagne était très peuplée.
C'est ainsi que nous arrivâmes à Lomé, ruisselants de transpiration, épuisés par la chaleur. Notre hôtel était un havre de fraîcheur que nous appréciâmes et la taverne bavaroise où nous prîmes nos repas fut un vrai régal, un endroit surréaliste, avec ses serveurs en costumes traditionnels servant de la choucroute et de la bière dans d'immenses chopes glacées, dans un décor de chalet de bois. Cela nous changeait de notre quotidien de Ouaga.
Nous partions tôt le matin sur la plage et pour une découverte de la ville. Mais la chaleur était telle que nous ne sortions qu'en début ou en fin de journée où la température était plus supportable.