Rencontres Graines de Voyages |
Les colporteurs faisaient partie de nos familiers dans les années 1950, bohémiens, maghrébins "sidi", "mon z'ami"...Ces rencontres sur le pas de la porte...
En fredonnant ce chant choral adapté d'un poème d'Apollinaire, les saltimbanques,je revois le tableau de Van Gogh représentant une roulotte, un cheval dételé qui broutait tranquillement l'herbe dans l'ombre d'un chemin creux.Ce tableau, je l'ai retrouvé maintes fois dans le fond des classes.La chaleur des couleurs, cette maison qui roule, ce cheval si fort et si calme, et la route ombragée qui ne s'arrête jamais...Mais c'étaient aussi les roulottes de mon enfance que je regardais passer en rêvant, bien que "voleurs de poules, voleurs d'enfants..." que n'ai- je entendu d'autre pour désigner ces nomades?Nous achetions leurs paniers, tressés avec art, et nous faisions repasser nos couteaux.Nous leur gardions des vêtements trop petits pour nous et encore beaux et ma mère discutait avec leurs femmes qui revenaient régulièrement. Plus tard,j'aurais aimer écouter leur musique autour d'un feu de joie, comme le montraient certains films...je ne prêtais aucune attention aux propos malveillants, je connaissais cela, moi la timide que l'on gratifiait de ci ou de ça que je ne méritais pas!Alors les autres, pourquoi n'auraient-ils pas eux aussi tout comme moi ce droit essentiel: être différents?Cela valait-il d'être affublé de toutes les infamies?
les baladins d'Apollinaire
un groupe à pieds
un village désert
où sont passés les gens?
Cachés au fond de chez eux
affollés?
terrorisés?
les voleurs d'enfants
voleurs de poules
qui avancent sans but
en errance éternelle
sur les routes du monde
passants
des cerceaux des ours des singes
des lumières de la gaité de la joie
un feu de bois
des guitares et des danses
des toilettes somptueuses
des coiffures voluptueuses
cheveux noirs boucles folles
et la danse et le chant
venus du fond des âges
*Idem: Richepin, "Le chemin creux"
*Une chanson que j'avais apprise à cette époque en écoutant la radio...
et une vidéo d'aujourd'hui avec des images d'hier, en noir et blanc,
et des roulottes comme celles que je voyais passer....
"Sidi", "mon z'ami", les marchands de tapis |
Un autre souvenir de visites agréables de mon enfance que celles des maghrébins qui passaient à peu près tous les mois avec des tapis sur l'épaule.A cette époque, l'indépendance n'avait pas encore touché l'Afrique du Nord et le commerce réunissait les habitants des deux côtés de la Méditerrannée.
Le colporteur qui passait dans notre cité ouvrière n'était pas avare de déballage et exhibait avec fierté ses dernières trouvailles colorées magnifiquement tissées, ses tissus et ses voiles, et tout un fourniment d'accessoires dont je ne me souviens plus très bien qu'il ramenait "du bled".Il pouvait rester très longtemps à "faire l'article" et à discuter le prix bien que chaque fois cela se soldât au mieux par l'achat de quelques torchons et de mouchoirs en tissu, grands écossais violets en lin solide pour les hommes, petits carrés fleuris et brodés, tout fins pour les femmes et les fillettes, couches de tissu léger et langes pour les bébés qu'il tirait d'un grand baluchon de drap déplié à même le sol.Mais chaque fois, c'était le même rêve devant les objets artisanaux de très grande qualité, inaccessibles et trop luxueux pour des ouvriers habitués au strict nécessaire et au "fait maison" par les femmes .
Avec son accent chantant si rocailleux et ses mots écorchés, il nous emmenait là-bas au pays des chameaux et des dattes, expliquant la fonction de ces objets de cuivre, de cuir, de bois et ces tapis aux fils si doux et si épais où il devait faire bon marcher pieds nus.
Mes souvenirs se mélangent aujourd'hui avec ceux des hommes bleus du Burkina et ceux des Peuls du Tchad, qui, tout comme ces colporteurs de mon enfance déballaient toutes sortes de trésors plus merveilleux les uns les autres, les mettant dans les mains pour les faire palper, caresser, donner l'envie de posséder tellement c'est joliment travaillé!Ce sont des cavernes d'Ali Baba qui s'ouvrent encore à mes yeux d'enfants subjugués par ces objets d'autres mondes lointains.Et ces noms de "sidi" et de "monzami" qu'on leur empruntait étaient alors remplis d'admiration et de respect . A cette époque existait une fraternité bien au-delà des cultures entre ces gens qui se découvraient.Et de cette époque aussi l'amour des choses travaillées avec art et finesse, preuves d'un savoir-faire hérité de longue date que je retrouvais chez mon père qui fabriquait lui aussi d'autres objets tellement différents mais avec la même exigence et la même fierté . *Retrouvez un écrit d'Amédée Achard sur le colporteur cent ans auparavant.
*D'autres témoignages de colporteurs en Ardèche en 1985, à découvrir, et continuer en cliquant sur cette autre page du même site pour retrouver le colportage dans le Haut-Couseran au XIXème siècle.