Rythmes scolaires: Lorsqu'ils arrivaient le matin à sept heures, les élèves mahorais avaient commencé leur journée depuis quelque temps déjà.Ils participaient tous à la vie de leur famille, allaient à l'école coranique et ensuite, venaient à pieds à l'école.
La journée démarrait par des activités de lecture: un texte à lire, avec quelques questions, selon les aptitudes de chacun. Ceux qui avaient terminé plus tôt pouvaient lire l'ouvrage qu'ils avaient emprunté à la bibliothèque ou effectuaient des recherches supplémentaires sur des fiches créées en classe par un atelier à plusieurs , à partir de bandes dessinées, d'illustrés, de notices de toutes sortes. Il était aussi possible de rédiger un article pour le journal de la classe. Les élèves adoraient ce genre de travail. J'avais démarré un fichier collectif, avec quelques exemples. Il était vite devenu conséquent, ensuite réalisé par leurs soins , d'une très grande variété et d'une grande richesse.
Ensuite avait lieu une petite récréation au cours de laquelle ils goûtaient d'une mangue verte fibreuse sauvage ou d'une banane.
Puis les cours reprenaient et c'était alors le moment mathématiques où le même style d'activités qu'en lecture permettait de laisser chacun avancer à son rythme et progresser.L'entraide était naturelle et la coopération permettait d'enrichir considérablement les acquis.Après avoir appris à calculer de tête et classé les nombres dans leur suite, il fallait pratiquer les quatre opérations et résoudre des problèmes de la vie pratique.
N'ayant pas de livres, les élèves devaient fabriquer et concevoir le matériel pour manipuler les notions à acquérir.Leur unique matériel était un cahier et les outils classiques de l'écolier, à savoir crayons de papier et de couleur, gomme, taille-crayons, stylo et règle.
Après une récréation plus longue, où les élèves nettoyaient la classe, balayaient et faisaient les poussières, nous reprenions avec des matières plus relaxantes, poésie, histoire-géo, sciences, dessin....
Puis midi arrivait , la fin de la journée.
Une semaine sur deux, la journée finissait à midi.
Une semaine sur deux, la journée commençait à treize heures.
Les enfants étaient si nombreux et les locaux si insuffisants qu' il fallait se partager les classes en les occupant au maximum, toute la journée.
Donc nous étions deux enseignants à nous partager la même classe, avec des élèves, des niveaux et des méthodes différentes. Nous partagions notre armoire et notre bureau, ainsi qu'une série de livres de lecture.Là s'arrêtaient nos échanges, nous ne nous rencontrions pas, nous appartenions à des équipes différentes.Notre directeur était un homme charmant, très serviable, toujours souriant et très décontracté.Il habitait avec d'autres collègues dont son épouse une petite cité située non loin de l'école sur un promontoire dominant la seule route de la Petite Terre: "la cité malgache".
Une découverte d'importance pour un nouvel élan Un jour, notre conseiller pédagogique arriva à l'école avec un grand sourire et un carton sous le bras.Il déposa religieusement le carton sur le bureau et avec amusement expliqua qu'il avait trouvé tout au fond de la remise, au milieu de gravats et de vieilleries de toutes sortes cet objet...et il ouvrit le carton!Les enfants curieux regardaient l'objet avec toutes sortes d'interrogations.Je leur expliquai que grâce à cet objet, nous allions pouvoir créer notre journal et faire connaître tous nos textes à qui voudrait bien le lire.Nous venions de découvrir une ronéo qui resterait dans le bureau de notre conseiller pour être accessible à tous!Ce fut une grande nouveauté et un vrai bonheur!Peu de temps après, notre journal était en route et livré aux parents ravis.En retrouvant les derniers exemplaires dans le fond d'une caisse, il y a quelques années, je fus très déçue de ne plus pouvoir décrypter ce qui était inscrit.Bien qu'à l'ombre du carton, l'encre s'était tellement délavée qu'elle était illisible.C'était un journal rudimentaire, fait de feuilles agrafées et écrites à la main, illustré des dessins des enfants, mais il racontait leur quotidien, leur vie d'écolier et celle de leur famille, de leurs travaux dans les cultures.C'était un support de communication dont ils étaient très fiers, le résultat de concertations, d'échanges, de mises en commun, de partages...de vrais moments de socialisation et d'apprentissage qui sortaient de la classe et donnaient aux leçons toute leur raison d'être. Une bibliothèque à portée de tous
Dans la classe, nous nous étions installé un coin bibliothèque: une table plus petite avec des "classements" de récup réalisés pour ranger les fiches de lecture, les exercices à partir de BD et toute la doc que nous avions accumulée grâce aux courriers envoyés dans des directions très diverses.
Mais à côté de cela, il fallait donner aux enfants de la lecture-plaisir, de vrais livres où découvrir d'autres univers, avec des héros à qui s'identifier, qui donnent envie de s'embarquer pour d'autres vies.Une petite bibliothèque était située tout près de chez moi avec des rayons pour enfants et adolescents.Chacun prit une carte et s'inscrivit .
C'est ainsi que tous les jours je recevais la visite de quelques élèves.Ils s'installaient devant un verre de citronnade et commençaient leur lecture pendant que je préparais ma classe de l'après-midi ou du lendemain, m'interrompant parfois pour me livrer un commentaire ou demander un éclaircissement. En classe, ils sortaient leur livre dès que leur travail était terminé, et c'était un bonheur que les voir partager ce plaisir.Les commentaires allaient bon train et les livres étaient repris par l'un ou l'autre, curieux de découvrir ce qui faisait vibrer leurs camarades.
Vers le milieu de l'année scolaire, le Bureau Pédagogique lança un concours afin de récolter des témoignages oraux sur l'histoire de l'île pour permettre au CRDP de reconstituer une amorce d'histoire locale. Les enfants, familiarisés à l'écriture par la rédaction des articles du journal, se firent "interviewers" auprès de leurs connaissances et surtout des personnes âgées. Il fut très surprenant de confronter les anecdotes relatées par des individus différents.
Ecrire ces témoignages était un travail réel d'étude du discours et de confrontation de mêmes évènements émanant de sources diverses.Il devenait évident de s'interroger sur la validité des écrits et sur les sources des documents.La notion de temps n'existait pas, tout était lié à l'âge des personnes interrogées et ce qui pour certains représentait un an pouvait en valoir dix pour d'autres.Faire se recouper les témoignages autour d'un évènement se révélait un exercice très improbable puisqu'il n'existait aucun témoignage concret.Lier leur travail à leur quotidien et à l'histoire peu connue de l'île valorisait une fois de plus l'importance des apprentissages.C'était une motivation de taille .Construire les bases de la recherche historique alors que nous ne disposions que d'oralité montrait la permanence de l'écrit et les difficultés d'une vérité historique.Cela dépassait les leçons classiques qui n'intéressaient pas les élèves issus d'une autre réalité.
A la fin de l'année, nous reçûmes une convocation dans notre école un jour de congé par un conseiller pédagogique chargé du projet.J'eus l'agréable surprise de constater qu'un de mes collègues avait également répondu à cette enquête et que tous nos élèves avaient été gratifiés d'un roman.D'autres livres venaient grossir notre bibliothèque. Et surtout je découvrais la motivation d'un collègue de mon école pour notre pédagogie.