Instit au Boulevard des Crabes à Mayotte, en Petite Terre
une école au bout du monde au milieu de la mer sur une langue de sable avec des cocotiers bâtiments blancs et jaunes perforés de claustras de dentelle entourés d'une plage que longe la seule route de l'île où la Légion défile avec le sac au dos tout luisants de sueur chantant dans la moiteur avec le bruit des vagues et le souffle du vent et tous ces grands enfants à la peau lisse et noire au regard sombre et doux un cahier un crayon tenus par un cordon et c'est tout leur trésor avec un grand sourire et une envie d'apprendre ou classe du matin ou classe d'après-midi cinq jours de la semaine de sept heures à midi une récré à neuf heures une récré à onze heures treize heures à dix-sept heures une récré à quinze heures une récré à seize heures
inventaire de rentrée:
des tables disparates un grand tableau noir un bureau une chaise une poubelle une boîte de craies une éponge dans un seau une armoire des margouillats quelques cafards dans le fond de l'armoire et c'est tout!
petit inventaire un mois après des tables disparates un grand tableau noir un bureau une chaise une poubelle une boîte de craies une éponge dans un seau une armoire des margouillats une série de livres de lecture racontant l'histoire d'enfants africains des brochures d'ambassades de tous les pays du monde des lettres d'enfants de la France d'ici et des lettres d'enfants de la France de là-bas chacun de son côté de mer de son côté de globe des livres de bibliothèque des fiches de lecture réalisées en collant des pages de bandes dessinées sur des cartons de récupération de fiches périmées des administrations avec des questionnaires imaginés par les élèves qu'ils s'échangent et qui constituent un fond de travail et de documentation des modes d'emploi en tous genres des factures un cahier collectif pour écrire ses histoires pour poser ses questions pour écrire ses réponses pour se plaindre et pour dire qu'on aime et puis qu'on voudrait bien et qu'on aimerait beaucoup ou bien qu'il ne faut plus et qu'on n'a pas compris des problèmes sur des fiches des bâtons des ficelles des carrés des rectangles des cercles et des compas un mètre et une équerre et un grand rapporteur un rapporteur de groupe des tables face-à-face pour pouvoir se parler pour pouvoir s'entraider....
Et puis... à Mamoudzou! en Grande Terre
une drôle de prérentrée chez notre directeur "L'école n'est pas prête..." nous sommes deux femmes "métro" il a un grand sourire un peu bizarre je trouve il frappe dans les mains un prestidigitateur...? va-t-il nous faire un tour? derrière la porte... ricanements.... "clap clap clap" nouveaux frappés des mains "Regardez bien mesdames! quelque chose que vous ne connaissez pas chez vous!!!!" s'écrie Monsieur Loyal ................... apparaissent deux jeunes femmes tortillant leur manou rougissantes et gênées mais pas autant que nous... "Et voici mes deux femmes!"... colère honte gêne mais je souris quand même et ma collègue aussi... nous leur serrons la main nous sommes abasourdies d'un signe de la main il les renvoie déjà nous sommes estomaquées nous en reparlerons de cette prérentrée et elle n'est pas finie tout est allé très mal répartitions des classes et ensuite des élèves moi j'en ai la moitié de ce que les autres ont! et pourquoi donc cela? "Cela vient de plus haut!" mon sang ne fait qu'un tour! je bouillonne et je peste et puis je revendique les mêmes conditions... ma quarantaine d'élèves comme mes autres collègues!
Le jour de la rentrée les tables sorties des classes trois classes pour cinq instits matin après-midi pour gagner des locaux mais je connais déjà ce n'est pas le problème
deux grandes salles autrefois bureaux de l'administration coloniale au milieu un couloir eh! ce sera ma classe!!!! moitié des autres classes avec autant d'élèves
c'est moi qui l'ai voulu sans connaître l'école je me suis bien trompée en croyant son histoire... les enfants époussettent les tables décaties des petites des grandes des hautes et des basses et des qu'ont pas de sièges juste une barre en fer les sièges ont disparu... ils balayent les classes et ensuite la cour
premier jour dans la classe je n'ai pas de tableau ni de bureau non plus il m'aménera une chaise bon prince qu'il prendra de chez lui pas de livres non plus les tables l'une contre l'autre avec juste vingt centimètres de libre contre le mur où je pourrai passer
et quelques jours après j'ai enfin obtenu un tableau noir sur le mur du fond pas de place pour un bureau mais je m'en moque bien je ne m'assieds jamais je me passe de livres je n'en ai nul besoin dans cette école de quartier où les enfants parlent en swahili lisent un peu le français cachent dans leur pupitre d'énormes araignées qu'ils posent sur leur crâne rasé pour faire rire les copains m'appellent la sorcière car j'ai des cheveux blonds
j'improvise chaque jour je reçois des visites les mendiants qui s'incrustent et même parfois des chèvres des moutons