La barge était un moyen de communication très particulier, une découverte pour nous, d'autant plus qu'elle nous obligeait à entrer de plein pied dans cette ambiance particulière, à nous adapter au "pas des îles", expression chère à l'un de mes élèves. C'était difficile pour le travail. Parfois, elle partait avec une heure de retard à cause du nombre insuffisant de passagers. Parfois aussi, elle partait plus tôt que prévu. Il fallait prévoir une large marge de sécurité!
C'est ainsi que, convoqués à une surveillance d'examen lors de notre première semaine, avec un collègue, nous nous installâmes sur une barge en attente. Une vingtaine de minutes plus tard, ne voyant aucune activité à son bord, nous interrogeâmes un employé qui nous apprit que la barge que nous devions prendre était partie depuis longtemps déjà. Bien sûr à l'arrivée, plus personne ne nous attendait et notre périple continua avec un taxi-brousse qui accepta de nous charger malgré les très nombreux passagers, avec force détours pour déposer d'autres usagers. A notre courte honte,nous arrivâmes donc bien en retard dans notre salle d'examen.
Un autre soir, revenant d'un dîner chez nos amis de Mamoudzou, nous rentrions avec une dizaine de passagers vers Dzaoudzi; il faisait nuit noire et nous arrivions près des récifs; la barge était alors très loin du rivage lorsque tout à coup, elle devint complètement incontrôlée et se dirigea sur les écueils puis elle se mit à tourner sur elle-même. Une cloche se mit à tinter, angoissante dans le silence et l'obscurité de la nuit, mêlée au clapotis des vagues entre les deux îles, à mi-chemin, loin des rivages. Très inquiets, nous interrogeâmes nos voisins, sereins, qui nous répondirent que le conducteur s'était endormi. Ils étaient placides, amusés, nous nous sentions ridiculement affollés. Cela dura quelque temps, la cloche tintait sinistrement, tout était statique, hors le vent frais du large qui me faisait claquer des dents, nous nous apprêtions à la collision, nous étions dans l'attente, puis soudain le moteur vrombrit à nouveau, quelqu'un reprit les commandes, la barge fut à nouveau sous contrôle, repartant vers Dzaoudzi et la traversée continua, comme si rien ne s'était passé .