Un poème qui renferme tous les parfums et les trésors de l'enfance déversés par ce buffet....toute une ambiance d'autrefois...à comparer à celui de Baudelaire avec lequel je le confondais!
C'est un large buffet sculpté;le chêne sombre, Très vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens; Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants;
Tout plein, c'est un fouillis de vieilles vieilleries, De linges odorants et jaunes, de chiffons De femmes ou d'enfants, de dentelles flétries, De fichus de grand'mère où sont peints des griffons;
C'est là qu'on trouverait les médaillons, le mèches De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèches Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits.
-O buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires, Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis Quand s'ouvrent lentement tes grandes portes noires.
Arthur Rimbaud, Poésies
Le dormeur du val
Poésie très forte: un jeune soldat couché dans l'herbe, semblant reposer tranquille...pourtant l'ambiance idyllique fait place à un suspense de plus en plus intense qui arrive à son paroxysme ....poésie contre la guerre, très émouvante, surtout face à ces paysages théâtres des champs de batailles de la campagne ardennaise où il est facile d'imaginer la sauvagerie des combats...
C'est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons D'argent;où le soleil, de la montagne fière, Luit: c'est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue, Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu, Dort; il est étendu dans l'herbe, sous la nue, Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort.Souriant comme Sourirait un enfant malade, il fait un somme: Nature, berce-le chaudement: il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine; Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine Tranquille.Il a deux trous rouges au côté droit.
Arthur Rimbaud,Poésies, octobre 1870
Par contre, les paysages du "Dormeur du Val ne correspondent pas du tout à l'endroit où Rimbaud a rencontré sur sa route ce jeune soldat tué pendant la bataille de Sedan en 1870. Serge Reggiani interprète "Le dormeur du Val" en introduction de la chanson "Le déserteur"de Boris Vian, chanson contre la guerre....
Les effarés
La première poésie de Rimbaud qu'il me souvient avoir apprise à l'école primaire. Pour moi, cette histoire d'enfants pauvres me rappelait étrangement le conte de "la petite marchande d'allumettes"...Pour Verlaine, cela ressemblait à un tableau de Goya, et il est vrai que c'est aussi fort que du Goya...
Noirs dans la neige et dans la brume,
Au grand soupirail qui s'allume, Leur dos en rond,
A genoux, cinq petits -misère! - Regardent le boulanger faire Le lourd pain blond.
Ils voient le fort bras blanc qui tourne La pâte claire et qui l'enfourne Dans un trou clair.
Ils écoutent le bon pain cuire. Le boulanger au gras sourire Grogne un vieil air.
Ils sont blottis, pas un ne bouge Au souffle du soupirail rouge Chaud comme un sein.
Quand pour quelque médianoche Façonné comme une brioche On sort le pain,
Quand sous les poutres enfumées, Chantent les croûtes parfumées Et les grillons,
Que ce trou chaud souffle la vie, Ils ont leur âme si ravie Sous leurs haillons,
Ils se ressentent si bien vivre, Les pauvres Jésus pleins de givre, Qu'ils sont là tous
Collant leurs petits museaux roses Au treillage, grognant des choses Entre les trous,
Tout bêtes, faisant leurs prières Et repliés vers ces lumières Du ciel rouvert,
Si fort qu'ils crèvent leur culotte Et que leur chemise tremblote Au vent d'hiver.